Dans toute l’Afrique subsaharienne, de nombreux gouvernements nationaux ont adopté l’Objectif de développement durable 10, « Réduire les inégalités au sein des pays et entre eux », dans leurs stratégies nationales de développement.19 La section 4 du présent rapport montre que les programmes de planification familiale atteignent les femmes des ménages les plus pauvres. Dans la section 5, nous examinons dans quelle mesure les investissements dans la planification familiale pourraient, par le biais de leurs effets sur la fécondité, contribuer aux tendances en matière d’inégalités socio-économiques entre les pays du continent et au sein de ceux-ci.



Pauvreté et inégalité : une remise à niveau

Dans toute l’ASS, les stratégies nationales de développement ont tendance à inclure des objectifs de réduction de la pauvreté et d’amélioration de l’égalité économique ou de la prospérité partagée. Ces deux concepts sont liés et, parfois, confondus. En termes simples, la pauvreté désigne la privation, généralement un seuil monétaire en dessous duquel les besoins fondamentaux ne peuvent être satisfaits. L’inégalité renvoie aux disparités entre les groupes dans des domaines tels que le revenu, l’éducation, la santé ou le pouvoir].


Les transitions de la fécondité se produisent lorsque les pays passent d’une fécondité généralement élevée à une fécondité faible. Ces transitions modifient la structure par âge des populations nationales, ce qui peut stimuler l’épargne, l’investissement et la croissance économique lorsque les changements dans la structure d’âge de la population sont accompagnés de politiques d’éducation et d’emploi favorables. Mais tous les pays ne connaissent pas des transitions de la fécondité au même moment. Lorsque les transitions de la fécondité dans certains pays sont en retard sur d’autres, les inégalités économiques entre les pays pourraient se creuser. De même, si l’indice synthétique de fécondité d’un pays diminue de manière descendante, en commençant par les ménages les plus riches avant les ménages pauvres, les inégalités économiques pourraient également se creuser au sein des pays. En bref, les transitions de la fécondité pourraient contribuer à un bénéfice de croissance économique accélérée, mais elles pourraient également fonctionner comme un diviseur, en creusant les inégalités économiques.


Le rapport de 2016 a exploré les liens potentiels entre les écarts en matière de fécondité basés sur la richesse et le développement économique inclusif. Notre rapport actuel fait progresser ce travail en utilisant des approches statistiques qui nous permettent d’identifier les principales sources de variation des inégalités économiques à l’aide des données démographiques et économiques de l’EDS, du projet International Futures (IFS), des Nations unies et de la Banque mondiale. Nous examinons d’abord la relation entre la fécondité et l’inégalité économique entre les pays en Afrique, en utilisant la mesure de l’inégalité économique régionale. L’inégalité économique régionale est mesurée comme l’inégalité du produit intérieur brut (PIB) par rapport à la moyenne régionale. Nous examinons ensuite la relation entre la fécondité et l’inégalité au sein du pays, en utilisant la mesure de l’inégalité des ressources entre les enfants. L’inégalité des ressources entre les enfants regroupe deux éléments : le revenu des parents et le nombre d’enfants dans le ménage (taille du ménage).


Nos résultats confirment que les variations dans la structure par âge de la population sont un facteur important des tendances en matière d’inégalité économique entre les pays et devraient entraîner une convergence économique positive — dans laquelle les pays deviennent plus égaux sur le plan économique — au cours des deux prochaines décennies. Toutefois, les écarts en matière de fécondité entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres de la population au sein des pays contribuent à l’inégalité des ressources entre les enfants.

L’inégalité économique entre les pays d’Afrique est principalement liée aux tendances de la fécondité.

Pour la période de 1990 à 2015, nous avons analysé les contributions de trois facteurs liés à l’inégalité économique régionale :

  • Productivité économique relative : revenu national brut (RNB) par adulte ayant un emploi pour chaque pays par rapport à la moyenne régionale.
  • La taille relative de la population : part de la population de la région dans chaque pays.
  • 3. Structure relative par âge de la population : taux de dépendance de chaque pays par rapport à la moyenne régionale.


Les études précédentes examinant les sources d’inégalité du PIB entre les pays ont généralement utilisé deux variables : le PIB relatif par habitant (pour mesurer la productivité économique) et la taille relative de la population. Notre analyse ajoute une troisième variable, la structure par âge. Cette troisième variable nous permet d’estimer dans quelle mesure les changements de la structure par âge au sein de ces pays — largement déterminés par les tendances nationales de la fécondité — contribuent aux tendances en matière d’inégalité économique entre ces pays. En outre, notre analyse propose une mesure plus précise de la productivité. Le PIB par habitant est une mesure courante qui regroupe l’ensemble de la population, y compris les personnes à charge et la population en âge de travailler, composée de travailleurs et de non-travailleurs, et qui est trop large pour nos objectifs. Nous utilisons plutôt une mesure de la productivité économique qui évalue le revenu par adulte ayant un emploi. Cette approche permet une comparaison plus précise et multidimensionnelle des pays basée sur la productivité relative, l’emploi relatif et la structure par âge relative.


Entre 1990 et 2015, l’ISF régional pour l’Afrique est passé de 5,9 à 4,6 naissances par femme, ouvrant la voie à des transformations de la structure par âge de la population. Toutefois, la fécondité n’a pas diminué au même rythme dans tous les pays. Des pays d’avant-garde comme l’Afrique du Sud et le Botswana ont vu leur taux de fécondité chuter en dessous de quatre enfants par femme en 1995, tandis que la fécondité est restée élevée (plus de six enfants par femme) dans des pays comme le Niger et le Mali jusqu’en 2015.


Entre 1990 et 2005, les inégalités économiques entre les pays d’Afrique ont augmenté. À partir de 2005 environ, cette tendance s’est inversée et les inégalités entre pays ont diminué jusqu’en 2015 (voir la Figure 19). Notre analyse prévoit que l’inégalité économique entre les pays continuera à diminuer jusqu’en 2040.


Figure 19. Inégalités actuelles et projetées du PIB entre les pays africains, 1990-2040


Source : Analyse par le PRB de la Penn World Table Version 10.0, des indicateurs de développement mondial de la Banque mondiale et des données d’International Futures.

Étant donné que l’inégalité économique a d’abord augmenté puis diminué, nous avons analysé les contributions relatives des trois variables — structure par âge, productivité économique et taille de la population — pour les trois périodes distinctes : 1990 à 2005 (période de divergence économique), 2005 à 2015 (période de convergence économique), et 2015 à 2040 (tendances futures projetées), comme le détaille le Tableau 6.


Tableau 6. Contribution des variations de la structure par âge, de la productivité économique et de la taille de la population à l’inégalité du PIB par habitant, 1990-2005, 2005-2015 et 2015-2040

Période Variation de l’inégalité du PIB par habitant Contribution relative à la variation de l’inégalité du PIB par habitant
Structure par âge de la population Taille de la population Productivité économique
1990-2005 0.063 66% 2% 32%
2005-2015 -0.062 9% -2% 93%
2015-2040 -0.16 63% 4% 33%

Source : Analyse par le PRB de la Penn World Table Version 10.0, des Indicateurs de développement mondial de la Banque mondiale et de l’Institut sud-africain des études de sécurité, ainsi que de la Révision 2019 des Perspectives de population mondiale.


Pendant la période de divergence économique de 1990 à 2005, les inégalités économiques entre les pays ont augmenté de 18 %. Environ deux tiers (66 %) de cette augmentation sont liés aux différences relatives de la structure par âge de la population entre les pays qui ont connu une forte baisse de l’ISF dans les années 1980 ou avant, et les pays ayant continué à connaître une fécondité comparativement élevée. Les différences de productivité économique expliquent la plupart des autres inégalités.


Entre 2000 et 2015, période de convergence économique, les inégalités économiques entre les pays ont diminué, retrouvant presque leur valeur de 1990. Mais on estime que seuls 9 % de cette réduction sont liés à la variation de la structure par âge de la population. Les pays à faible revenu et à forte fécondité ont certes connu des transitions de la fécondité entre 2005 et 2015, mais leurs ISF sont restés nettement plus élevés que dans les pays ayant effectué cette transition plus tôt. Il faut des années avant que la baisse de la fécondité ne produise des changements correspondants dans la structure par âge de la population. Ainsi, la réduction des inégalités économiques entre les pays au cours de cette période est due presque entièrement aux différences relatives de productivité économique.


Pour ce qui est de l’avenir, nous prévoyons que la convergence se poursuivra à mesure que l’inégalité projetée du PIB par habitant des pays d’Afrique subsaharienne diminuera progressivement, au moins jusqu’en 2040. Près des deux tiers de cette tendance à une plus grande égalité économique dans la région devraient être dus à l’évolution de la structure par âge de la population. Les pays qui ont réalisé des transitions de la fécondité entre 2000 et 2015 en verront les résultats dans la structure par âge de leur population, et les pays ayant actuellement une fécondité élevée subiront des transitions en matière de fécondité au cours des deux prochaines décennies. Afin de maximiser cette fenêtre d’opportunité économique, les changements dans la structure d’âge de la population devraient être accompagnés d’investissements stratégiques dans d’autres secteurs, notamment l’éducation, les réformes économiques, la santé et une gouvernance inclusive et efficace.

Les tendances de la fécondité influencent les inégalités économiques entre les enfants au sein des pays.

L’Afrique abrite désormais huit des dix pays les plus inégaux sur le plan économique au monde. Le rapport de 2016 a démontré que les écarts en matière de fécondité entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres de la population d’un pays pourraient creuser les inégalités en matière d’opportunités économiques. Le manque d’opportunités économiques au sein d’un pays pourrait creuser les inégalités de manière à nuire à la cohésion sociale et, partant, réduire la compétitivité économique, même dans des contextes où la pauvreté absolue pourrait être en baisse.20


Pour analyser l’inégalité des ressources entre les enfants au sein d’un pays, nous avons utilisé des méthodes statistiques similaires à notre analyse entre les pays. Les dotations en ressources par enfant dépendent en grande partie de trois facteurs : le revenu parental, la part du revenu parental allouée aux enfants et le nombre d’enfants. Dans les ménages ayant plus d’enfants, il pourrait être plus difficile pour le revenu parental de répondre aux besoins de santé et d’éducation de chaque enfant. Lorsque la fécondité diminue, les ménages ont tendance à disposer de plus de ressources pour investir dans les besoins de chaque enfant. Nous avons examiné les contributions relatives des inégalités de revenu et de taille des ménages (nombre d’enfants par ménage) aux ressources approximatives investies dans les enfants pour huit pays dont les données sont disponibles sur la période 1990-2018. En l’absence de données sur la part des revenus parentaux allouée à chaque enfant, nous avons appliqué l’hypothèse prudente selon laquelle la part des revenus parentaux consacrée à l’éducation est similaire dans les groupes de revenus.

Plus précisément, nous avons examiné l’inégalité des ressources entre les enfants en prenant en compte deux variables :

  • Inégalité des revenus des parents : variation relative des revenus des parents dans les cinq quintiles de richesse de l’EDS (des plus pauvres aux plus riches).
  • Inégalité de la taille du ménage : Inégalité de la taille du ménage : variation relative du nombre moyen d’enfants par ménage dans les cinq quintiles de richesse (des plus pauvres aux plus riches).

Le Tableau 7 montre que les inégalités de ressources entre les enfants ont augmenté dans tous les pays, à l’exception du Burkina Faso et du Rwanda, entre 1990 et 2018. Ces deux pays ont mené des politiques socio-économiques progressistes visant à réduire les écarts en matière de revenus des parents, ce qui a constitué un facteur clé pour limiter l’inégalité des ressources chez les enfants.


Tableau 7. Contribution des écarts de revenu parental et de fécondité dans les quintiles de richesse les plus riches et les plus pauvres à l’évolution de l’inégalité des ressources chez les enfants, 1990-2018.

 Pays  Période  Ampleur et orientation de la variation de l’inégalité des ressources chez les enfants Contribution relative à la variation de l’inégalité des ressources chez les enfants  Quintile le plus influent  Contribution du quintile le plus influent
Inégalité des revenus Inégalité de fécondité
Bénin 2001-2017 0.14 159% -60% Quintile le plus bas 95%
Burkina Faso 1999-2014 -0.19 129% -14% Quintile le plus élevé 48%
Cameroun 1998-2018 0.17 46% 59% Quintile le plus bas 76%
Éthiopie 2000-2016 0.18 46% 55% Quintile le plus bas 74%
Mozambique 1997-2015 0.19 -4% 123% Deuxième quintile 55%
Nigéria 2003-2010 0.06 75% 21% Deuxième quintile 49%
Rwanda 2005-2017 -0.11 120% -14% Quintile le plus élevé 48%
Zambie 2002-2018 0.43 85% 6% Quintile le plus bas 60%

Source : Indicateurs du développement mondial de la Banque mondiale et données de l’enquête démographique et sanitaire pour certains pays.


Dans l’ensemble, les écarts en matière de fécondité fondés sur la richesse (dans lesquels les 20 % des ménages les plus riches enregistrent un taux une fécondité relativement plus faible et les 20 % des ménages les plus pauvres un taux de fécondité relativement plus élevée) ont creusé les inégalités de ressources actuelles entre les enfants dans tous les pays que nous avons étudiés, à l’exception du Bénin. Ils ont été le principal facteur d’aggravation de l’inégalité des ressources au Cameroun, en Éthiopie et au Mozambique. En Zambie et au Nigéria, les tendances de la fécondité ont renforcé les effets de l’accroissement des inégalités de revenus entre les parents. Au Burkina Faso et au Rwanda, les tendances de la fécondité ont ralenti le rythme de réduction de l’inégalité des ressources.


Si les tendances actuelles de la fécondité dans la région se maintiennent et que davantage de pays africains connaissent des transitions plus rapides en matière de fécondité, les inégalités économiques entre les pays d’Afrique subsaharienne devraient diminuer au moins jusqu’en 2040. Dans le même temps, les écarts en matière de fécondité fondés sur la richesse contribuent considérablement à l’aggravation des inégalités de ressources entre les enfants au sein des pays.


L’inégalité persistante de l’investissement des ménages dans le développement du capital humain des enfants ralentira les efforts des pays pour atteindre une croissance économique et un développement inclusifs. Dans ce scénario, même si l’ISF diminue et que l’égalité économique entre les pays s’améliore, les bénéfices du développement économique pourraient ne pas être largement partagés au sein des pays. Les pays pourraient atténuer les effets de l’inégalité liée à l’investissement des ménages dans les enfants par le biais d’initiatives politiques qui améliorent l’accès à la santé et à l’éducation pour les enfants des ménages à faibles ressources, notamment en s’attaquant aux obstacles financiers à l’enseignement secondaire.


La croissance continue du TPCm dans la région, ainsi que les preuves que les programmes de planification familiale atteignent les femmes des ménages les plus pauvres, pourraient contribuer à réduire les écarts en matière de fécondité basés sur la richesse. Cependant, même lorsque le TPCm augmente chez les femmes des quintiles de richesse inférieurs, les idéaux de fécondité restent supérieurs d’un à trois enfants par rapport aux femmes des quintiles plus riches dans la plupart des pays que nous avons étudiés. Comme nous l’avons démontré dans la section 3, les données sur les idéaux de fécondité suggèrent que la relation entre le TPCm et l’ISF pourrait être particulièrement faible parmi les 20 % les plus pauvres de la population. Les décideurs politiques devraient prêter attention à la dynamique unique au sein de leur population et envisager la panoplie de mécanismes politiques, y compris les leviers de politique économique, qui ciblent l’inégalité persistante des ressources parmi les enfants.